L’engouement des jeunes pour les TIC et leur inventivité sont la clé pour faire progresser l’agriculture mobile.
Yared Mammo
L’engouement des jeunes pour les TIC et leur inventivité sont la clé pour faire progresser l’agriculture mobile et attirer les jeunes vers le secteur agricole des pays ACP.
Les pays en développement ne peuvent que se féliciter de l’apparition, voici plus de dix ans, de la « mAgriculture » (l’agriculture mobile), c.-à-d. le recours aux plates-formes et applications de téléphonie mobile par les jeunes agriculteurs. Avec l’extension de la couverture des réseaux mobiles dans les pays ACP, la question de l’introduction des apps mobiles dans le secteur agricole relève moins du « quand » que du « comment ». La finance mobile et les services d’information à valeur ajoutée sont autant d’exemples évidents et prometteurs des initiatives de mAgriculture. L’argent mobile pourrait en effet bouleverser l’économie de la région ACP s’il était communément utilisé dans des secteurs comme l’agriculture, le commerce et la santé.
Les jeunes sont appelés à occuper une place prépondérante dans l’avenir de la mAgriculture vu leur affinité naturelle avec les TIC. Dans une certaine mesure, la mAgriculture mise en effet sur les jeunes pour bâtir son avenir. Or maintenir les jeunes dans l’agriculture pour en faire la prochaine génération de paysans n’est pas une sinécure et suppose bien plus que l’apport de sang neuf. Il s’agit de rajeunir la petite paysannerie dans son ensemble et de considérer les jeunes comme les partenaires d’aujourd’hui et les architectes du développement de demain. Dispenser des formations et fournir des intrants agricoles à des jeunes ne suffit plus à les attirer vers les métiers agricoles. Ils ont besoin d’un accompagnement, sous la forme d’un accès plus aisé aux informations et aux marchés grâce aux technologies mobiles.
Mobiliser les jeunes
Dans les PED, la plupart des jeunes agriculteurs savent que ce métier peut leur assurer un train de vie confortable. Beaucoup d’entre eux quittent néanmoins la ferme familiale pour tenter leur chance à la ville. Les TIC pourraient inverser cette tendance, d’après Youth, ICTs and Agriculture, un rapport publié en novembre 2013 par l’IICD, une fondation à but non lucratif (voir l’encadré ‘TIC et jeunes paysans de l’ouest du Kenya’). Améliorer l’accès aux informations de marché, aux techniques de production, aux nouvelles technologies et aux possibilités de financement est un bon point de départ, mais il s’agit surtout de « profiter de l’engouement des jeunes pour les TIC, de leur inventivité et de leur propension à prendre des risques entrepreneuriaux plus élevés ».
Une autre façon d’inverser la tendance consiste à changer l’image de l’agriculture. En Éthiopie, par exemple, cela fait plus de cinquante ans que l’agriculture est enseignée à l’université. Mais les métiers agricoles ne tentent toujours pas les étudiants.
Cinq domaines de changement
Les universités, les gouvernements et les partenaires internationaux doivent reconnaître et accompagner les petits paysans en leur offrant un meilleur accès aux informations de marché, en développant des applications mobiles adaptées et en formant les paysans à leur maniement. Les jeunes ne seront attirés par l’agriculture que lorsque le train de vie des petits exploitants se sera nettement amélioré et lorsque les politiciens, les planificateurs et les professionnels aurons pris la tête de ce changement, dans cinq domaines.
Premièrement, il faut oublier la question du coût et de l’accessibilité des portables, des réseaux et des applications. Le principal problème de l’agriculture n’est pas le manque de ressources, mais de moyens pour accéder aux marchés et y vendre les produits. Trop peu d’applications correspondent aux besoins spécifiques des paysans.
Deuxièmement, les pays africains consacrent une part importante de leurs budgets nationaux au développement du secteur agricole, essentiellement par la fourniture de meilleurs semences et engrais et d’informations sur leur utilisation. Rares sont les budgets alloués au développement d’applications mobiles qui soutiennent une filière agricole inclusive. L’attribution de budgets réalistes au développement et à la commercialisation d’applications mobiles transformerait la petite agriculture en apportant aux paysans les connaissances liées à leur produit tout en leur donnant les moyens de mieux négocier les prix.
Troisièmement, même en ayant de meilleurs semences, engrais et autres intrants agricoles, et même en ayant la possibilité de s’informer sur des méthodes plus productives, les petits paysans ne pourront améliorer leurs moyens d’existence et contribuer à la sécurité alimentaire mondiale qu’en étant en mesure de vendre leurs produits. Leur fournir des informations de marché et leur ouvrir l’accès aux marchés nationaux et internationaux devrait être la priorité première de toute politique de mAgriculture.
Quatrièmement, tous les paysans du monde ont un point commun : leurs besoins en information varient selon les saisons et l’évolution mondiale de l’agriculture. Comprendre les types de facteurs qui conditionnent les besoins en information et en connaissances des paysans, c’est faire la moitié du chemin vers le développement d’applications mobiles dédiées à l’information agricole. Pour bien comprendre où et comment la mAgriculture peut être la plus efficace en fonction des circonstances, il convient d’analyser les besoins en information de tous les intervenants de la filière.
Prenons l’exemple de l’Inde qui, ces 30 dernières années, a mis l’accent sur l’augmentation des rendements. Aujourd’hui, l’agriculture indienne a achevé sa révolution verte pour entrer dans une nouvelle phase où les demandes d’information des paysans changent et se diversifient. La préoccupation n’est plus tant la rentabilité qu’un retour plus élevé sur investissement. Il s’ensuit que les paysans ne sont plus en demande d’informations techniques mais de renseignements sur les marchés ou ce qui peut valoriser leur production.
Cinquièmement, il faut regrouper les moyens pour que les paysans puissent tester de nouvelles structures d’appui et de nouvelles formes de partenariat (public-privé, public–privé–associatif et privé-privé) aux plans local, national, régional et international. Des applications à valeur ajoutée peuvent être développées par des particuliers, des étudiants, des chercheurs universitaires, des collaborateurs d’ONG et des sociétés logicielles. Ces développeurs doivent travailler en équipe avec les services gouvernementaux traditionnels (services de vulgarisation), les chambres de commerce et les sociétés de téléphonie, qui ont les moyens de populariser l’usage d’applications mobiles, surtout dans les zones rurales reculées. Ce type de partenariat permet de conjuguer les atouts de chacun.
Cet article est le condensé d’un dossier intitulé « ICTs in linking farmers to markets: Innovative mobile applications and lessons learned from the past and the future », que le CTA publiera prochainement dans « Rejuvenation of smallholder agriculture in Africa, the Caribbean and the Pacific (ACP) by the adoption of new technologies, including ICTs, and methods ».
TIC et jeunes paysans de l’ouest du Kenya
Les constatations de Youth, ICTs and Agriculture se fondent sur des recherches effectuées dans l’ouest du Kenya. Il s’agissait de voir en quoi l’usage des TIC affectait l’intérêt des jeunes pour l’agriculture. Les paysans interviewés avaient, 80 % d’hommes et 20 % de femmes, entre 24 et 38 ans. Sur l’ensemble de l’échantillon, 65 % avaient achevé des études secondaires et 15 % obtenu un diplôme dans une haute école ou une université.
Près de 90 % des personnes interviewées se servaient de TIC dans leur exploitation. Les outils les plus utilisés étaient Excel et Word ; Internet (sur ordinateur et téléphone portable) ; FrontlineSMS ; la vidéo, la radio et la télé ; les journaux, magazines et brochures en ligne. Le rapport a surtout mis en lumière une différence d’attitude des paysans à l’égard des TIC et de l’agriculture selon qu’ils étaient célibataires ou mariés avec des enfants. Selon le rapport, les paysans célibataires voient avant tout les TIC comme une passerelle vers un meilleur emploi en dehors de l’agriculture. Les jeunes paysans en ménage, en revanche, se servent immédiatement des TIC pour améliorer la productivité et la rentabilité.
L’ensemble des constatations et recommandations du rapport sont sur http://goo.gl/6bvWZy.
____________________________________________________________________________________________________
Yared Mammo ( y_mammo@yahoo.com) est professeur assistant à la Faculté de développement rural et de vulgarisation agricole de l’université de Haramaya (Éthiopie) ; il travaille également pour la bibliothèque et les services d’information de l’université.
Source: ICTupdate